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Une innovation touristique issue des sciences sociales

Naissance du projet

Né en 2015 à l’occasion d’un atelier pédagogique porté par le Master ITER (Innovation et Territoire) et le LabEx ITEM (Innovation et Territoires de Montagne), à l’Institut de Géographie Alpine à Grenoble, le projet Losonnante a été initié par Sébastien Depertat, rejoint dès 2017 par Thomas Bonnenfant.
Losonnante est une installation sonore originale en ce qu’elle propose une expérience d’écoute par conduction osseuse. Le son n’est pas donc projeté dans l’espace par voie aérienne, il circule le long des coudes, des bras, des mains jusqu’aux oreilles. Cela convenait à l’expérimentation menée sur le site touristique mais sensible et protégé du lac de Paladru : renouveler la découverte du lieu sans intervenir trop brutalement grâce au partage de récits habitants, d’histoires et de légendes dans le creux de l’oreille.

La Ville de Grenoble a également manifesté son soutien dans la perspective d’une installation sur le belvédère de la Bastille et le CNRS a sélectionné La Losonnante pour être présentée au salon Innovatives SHS 2017 à Marseille.
Dans cette dynamique, le projet est rejoint par Thomas Bonnenfant, auteur des Stations d’écoute solidienne (IRCAM, LAUM et LAM, 2009) pour mettre au point un nouveau prototype de l’installation sonore. Les compétences de géographe et musicien d’une part et d’architecte-plasticien d’autre part s’unissent pour étoffer le projet. Des récits de territoires aux paysages sonores jusqu’au comportement des vibrations sonores dans la matière, la Losonnante se construit alors comme un projet pluri-disciplinaire, à la rencontre entre arts (plastiques et sonores) et sciences (physique, matériaux, sciences humaines et sociales).

Entrée en « maturation de projet »

Suite au salon du CNRS « Innovatives SHS 2017 » à Marseille, Losonnante se rapproche de la SATT Linksium et décide de déposer une candidature pour le Challenge Out Of Labs. Ce programme est destiné à aider les projets issus de laboratoires de recherche pour les transférer vers le monde socio-économique, principalement sous la forme de création d’entreprise.

À partir de janvier 2019, accompagnés par la SATT Linksium, Thomas et Sébastien intègrent les laboratoires Pacte et AAU-Cresson en tant qu’ingénieurs d’étude : les objectifs sont alors de mettre au travail les multiples dimensions apportées par le dispositif Losonnante (positions d’écoute, modes d’attention, rapport au corps et à l’environnement, relation entre haptique et acoustique), d’aboutir à la production d’un nouveau prototype d’écoute (travail sur la forme, les matériaux, la scénographie), et d’identifier des situations concrètes d’application.
Le démarrage de ce programme a notamment permis de mettre en situation l’objet sous divers formats : festival des arts numériques, atelier de découverte des sons auprès d’enfants, mise à disposition longue durée pour des espaces d’exposition…

L’équipe CRESSON

Le CRESSON (centre de recherche sur l’espace sonore et l’environnement urbain) est une équipe de recherche en architecture et urbanisme, créée en 1979, à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble. À l’origine centré sur l’espace sonore, le CRESSON a fondé sa culture de recherche sur une approche sensible et située des espaces habités. Ces recherches s’appuient sur des méthodes pluridisciplinaires originales, à la croisée de l’architecture, des sciences humaines et sociales et des sciences pour l’ingénieur. À travers ses travaux, le CRESSON met en œuvre des expérimentations qui interrogent les processus de conception architecturale et urbaine à toutes ses échelles (dispositif, architecture, espace urbain, paysage, territoire). À partir des années 90, tout en poursuivant les travaux sur la dimension sonore, ses investigations s’élargissent aux multiples dimensions de la perception in situ de l’expérience urbaine. Sont ainsi abordés les phénomènes lumineux, sonores, thermiques, olfactifs, tactiles et kinesthésiques, et leurs rapports aux pratiques ordinaires et professionnelles, posant alors les bases de la recherche sur les ambiances architecturales & urbaines. Dans la continuité de ces préoccupations, les travaux du CRESSON questionnent aujourd’hui les enjeux sociaux, écologiques, esthétiques, numériques et politiques des ambiances.
Le CRESSON est une des équipes du laboratoire Ambiances, Architectures, Urbanités (AAU) qui est une Unité Mixte de Recherche du CNRS associant les Écoles Nationales Supérieures d’Architecture de Grenoble et de Nantes et l’École Centrale de Nantes. Depuis sa création, le laboratoire AAU se développe de manière fortement interdisciplinaire, tant par sa composition (architectes, sociologues, informaticiens, anthropologues, urbanistes, géographes, physiciens, historiens, philosophes), que par les problématiques et enjeux auxquels il répond (architecture, environnement, ville), et par les outils qu’il conçoit et met en œuvre (méthodologies d’enquêtes in situ, modélisation et simulation des phénomènes d’ambiances, réalité virtuelle, etc.).

La place du CRESSON dans le contexte du projet Losonnante

Le projet Losonnante s’inscrit doublement dans les orientations scientifiques du CRESSON, à savoir, explorer la dimension sonore de l’espace habité et des espaces publics et se saisir du quotidien urbain par les pratiques et récits habitants. Ces orientations ont trois visées : scientifiques, artistiques et opérationnelles. Le projet Losonnante offre par son dispositif d’écoute solidienne des possibilités de questionnement et de diffusion originales sur ces enjeux. Le partage des représentations, leur présence dans l’espace public et la possibilité d’interagir avec elles sont au cœur de nombreux enjeux urbains contemporains, que ce soit pour une meilleure compréhension et prise en compte de l’environnement physique, social et sensible que pour une conception concertée des transformations architecturales, urbaines et paysagères à venir. L’écoute pour tout simplement mieux s’entendre.

Le laboratoire Pacte

Les membres de Pacte, Laboratoire de Sciences Sociales sont investis dans la construction de langages communs et de connaissances transverses sur les transformations de nos sociétés dans leurs dimensions politiques, territoriales, sociologiques et écologiques. Issu de laboratoires spécialisés principalement en aménagement des territoires, géographie et urbanisme d’une part, science politique et sociologie d’autre part, le laboratoire regroupe également quelques économistes, historiens, juristes et spécialistes d’information et communication. Il place l’interdisciplinarité au cœur de ses pratiques, par le partage et la confrontation des méthodes, des épistémologies, et des terrains communs.
L’organisation de l’unité en 5 équipes (Environnements, Gouvernance, Justice sociale, Régulations, et Villes et territoires) joue sur les échelles des relations entre acteurs (depuis les grandes organisations internationales jusqu’aux subalternes), mais aussi sur les déploiements territoriaux urbains comme ruraux, en tenant compte des enjeux environnementaux que ces processus suscitent.

La vie collective se construit à Pacte autour de la production d’une recherche fondamentale d’excellence, déployée au travers de réseaux thématiques et disciplinaires internationaux. Le laboratoire est également reconnu comme un acteur dynamique de collaborations de recherche-action, notamment avec les institutions publiques, associatives et privées, en lien fort avec les territoires dans lesquels il s’inscrit. Il entend également jouer un rôle central dans les dynamiques d’innovation et d’expérimentation en sciences sociales, explorant à la fois de nouvelles formes de co-production de la connaissance et de recherche-création et des formats inédits de dissémination des résultats de recherche dans la cité.

La place de PACTE dans le contexte du projet Losonnante

Le laboratoire Pacte a contribué à l’émergence du projet Losonnante par l’investissement de ses enseignants-chercheurs dans la formation à la recherche (Master ITER) et le soutien à l’innovation (LabEx ITEM). Par ses expertises dans le champ de la géographie, de l’aménagement et de l’urbanisme, Pacte possède une tradition de coopération avec les territoires afin d’ouvrir des terrains d’expérimentation et d’apprentissage – comme cela s’est fait à Paladru. L’équipe Environnements du laboratoire a accueilli Sébastien Depertat en tant que chercheur associé à Pacte à l’issue de son master. Cela lui permet de prendre part à l’activité scientifique du laboratoire, de bénéficier de de son expérience interne en matière de montage de projet et de valorisation, enfin, de découvrir de nouveaux réseaux propices au développement de la Losonnante. La Losonnante s’inscrit dans un regain d’intérêt au sein du laboratoire pour les médiations sensibles (film, danse, théâtre) qui permettent aux sciences humaines et sociales de renouveler leur engagement sur des problématiques de société (enjeux environnementaux, migratoires, de renouvellement urbain, etc.). Le laboratoire Pacte possède enfin un historique fructueux de collaborations avec le laboratoire Cresson.

Résidences artistiques

À partir de l’intention amenée avec le dispositif Losonnante, trois principaux axes de travail et de réflexion sont posés, sur lesquels des curseurs peuvent évoluer : la position d’écoute, l’environnement d’écoute et les contenus sonores.
Losonnante propose aujourd’hui pouvoir travailler de façon plus approfondie sur ces aspects en fonction des demandes d’installation. Des dispositifs sur mesure peuvent alors émerger, élaborés en fonction des sites et du contexte. Sous forme de résidence, il s’agirait de travailler avec des artistes, compositeurs, chorégraphes, scénographes, scientifiques, faisant émerger de nouvelles approches et de nouvelles expériences de l’écoute par conduction osseuse.
 
  • La position d’écoute
Elle conditionne le confort de l’auditeur, le temps qu’il va pouvoir consacrer à l’écoute, l’attention qu’il va y porter et la façon dont il va percevoir les sons (qualité, finesse d’écoute, difficulté à se positionner). Aujourd’hui en station debout et en écoute individuelle, des dispositifs pourraient travailler sur des positions d’écoute assises ou allongées, en individuel, sur des petits groupes de personnes ou des collectifs plus importants.
 
  • L’environnement d’écoute
Il s’agit de travailler plus spécifiquement sur la scénographie qui accompagne Losonnante et le choix de questionner l’environnement sonore dans lequel on s’insère. Le fait d’écouter en milieu bruyant ou en milieu très calme change de façon substantielle la perception et l’expérience d’écoute avec ce dispositif.
Il s’agit également de guider le visiteur vers Losonnante et de lui indiquer, de façon plus ou moins explicite, comment se mettre à l’écoute. En fonction des configurations, et selon les personnes, adopter cette position d’écoute peut être intimidant ou au contraire réconfortant, on peut vouloir être seul ou plutôt avoir besoin de quelqu’un auprès de soi qui nous guide dans l’expérience d’écoute.
La scénographie consiste aussi à intégrer des éléments externes au dispositif à l’expérience d’écoute : des jeux de lumière, des visuels, s’insérer dans une chorégraphie qui joue avec l’immobilité de l’auditeur etc.
 
  • Les contenus sonores
L’un des gros chantiers concernant Losonnante est de proposer des contenus sonores qui soient spécifiquement composés pour le dispositif. L’objectif est de travailler avec des compositeurs qui puissent expérimenter le rendu de leurs travaux avec ce type d’écoute. En fonction des choix du compositeur, il peut y avoir un jeu entre l’audition et la perception haptique (le toucher) qui se fait plus ou moins ressentir.

Bibliographie

Ouvrages
BASCHET François (2007), Mémoire Sonore, L’Harmattan – Paris
GONON Anne, Tout ouïe. La création musicale et sonore dans l’espace public, L’entretemps, 2016.
FLORENS Ernst, FRIEDRICH Chladni (2018), Traité d’acoustique, Hachette Livre BNF – Paris GUIU Claire (dir.), « Géographies et musiques. Quelles perspectives ? » , revue Géographie et cultures n°59, automne 2016, L’Harmattan, Paris.
MURRAY SCHAFER Raymond, Le paysage sonore. Le monde comme musique, Wildproject, Marseille, 2010.
RAIBAUD Yves (dir.), Comment la musique vient aux territoires, Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, 2009.
SINCLAIR Peter, JOY Jérôme, Locus Sonus. 10 ans d’expérimentation en art sonore, Le mot et le reste, 2015.
 
Thèses
BOSS Sandra (2018), Tuning the Ear – Exploring Conditions and Conceptions of Hearing, Faculty of Arts, Aarhus University
DAMIAN Jeremy (2014), Intériorités/Sensations/Consciences : sociologie des expérimentations somatiques du Contact Improvisation et du Body-Mind Centering, Université de Grenoble.
 
Articles et revues
BERGER Nathalie, CALLEC Arnaud, dossier « Prêtez l’oreille… La nature c’est aussi du son », revue Espaces naturels, n°47 juillet 2014.
GWIAZDZINSKI Luc, PIGNOT Lisa, dossier « Les géo-artistes : nouvelles dynamiques pour la fabrique urbaine » , L’observatoire, la revue des politiques culturelles, n°48 Été 2016.
ROMIEU Patrick, « Désenchanter le sonore : quelques considérations sur les méandres inférieurs de l’écoute » , in GUIU Claire, FABUREL Guillaume, MERVANT-ROUX Marie-Madeleine, TORGUE Henry et WOLOSZYN Philippe (dirs.) Soundscapes. Espaces, expériences et politiques du sonore, Presses Universitaires de Rennes, 2015.
 
Articles en ligne
« L’accéléromètre pour écouter les vibrations du monde » : http://www.echosciences-grenoble.fr/articles/l-accelerometre-pour-ecouter-les-vibrations-du-monde
« Good vibrations (1/3) : Bill Fontana, l’artiste qui sculpte le bruit du monde » : http://www.echosciences-grenoble.fr/articles/good-vibrations-1-3-bill-fontana-l-artiste-qui-sculpte-le-bruit-du-monde
« Dossier arts & sons – Les esthétiques de l’écoute », sur le site Arts Hebdo Médias : http://artshebdomedias.com/article/300316-dossier-art-son-les-esthetiques-de-ecoute/